no more sad songs (nina)

L'air sentait l'embrun marin. Les nuages étaient bas et le petit village avait revêtu un visage désespérément morose. L'orage guettait, impatient d'éclater. Les visages fermés défilaient, marchant vers un but inconnu, cet air de détresse imprimé sur les traits, criant de leur venir en aide, de les sauver de cette routine oppressante. Peut-être leur but s'était-il évanoui à leurs yeux avec le temps. Un jour, ils avaient aimé se lever tôt, aller travail. Faire quelque chose qui leur plaisait. Surement. Personne désormais ne le savait vraiment. Nina s'ennuyait ferme. Elle travaillait quatre jours par semaine, ne voyant défiler sous ses yeux qu'un ou deux chats effrontés par jour (voire moins), une vieille dame murmurant dans le patois local accrochée au flan du vétérinaire de garde, guettant le moindre soupçon d'une mauvaise nouvelle. Cependant, il n'y avait pas de mauvaises nouvelle à annoncer, pas que cela réjouisse Nina. Il n'y avait pas d'animal à soigner véritablement, à opérer d'urgence. Pas de précipitation, pas d'attente, pas de suspens. Pas de passion. Après cinq années passées à Londres, la jeune femme se demandait parfois ce qui lui était passé par la tête pour quitter la tension permanente, l'adrénaline qui courrait dans ses veines, les palpitations constantes. Pour revenir là ou il ne se passe jamais rien. Cependant, elle n'arborait pas le visage figé de crispation des habitants de la ville qu'elle connaissait si bien, gamine et qu'elle croisait désormais chaque jour sur son propre chemin. Après deux semaines seulement, elle avait arrêté de leur jeter des good morning enjoués, préférant un large sourire auquel personne ne répondait jamais. Ils ne semblaient tout simplement pas la voir, pris dans leur tourments quotidiens, dans leur désespoir. Nina ne regrettait pas Londres. Etre véritablement utile lui manquait terriblement malgré tout. Pourtant, rien ne la poussait à rester dans une ville sordide ou personne ne se connait. Les visages y sont plus fermés qu'à Port Isaac, les joues blêmes, les regards froids, hagards, cherchant une issue qui n'existe pas. Tout de son village natal lui avait manqué, pourtant, elle n'était pas revenu une seule fois. Elle avait fait le choix de partir, peut-être pour ne jamais revenir, comme sa mère. Elle a traqué dans chaque regard d'homme inconnu les yeux de son père. Ses propres yeux. Elle sait très bien à quoi ressemblaient ceux de sa mère. D'un brun presque noir, sévère, froid. Elle a retrouvé ce regard chez sa grand-mère, chez ses tantes et quelque unes de ses cousines. Pas dans ses propres iris, trop claires et trop douces. Elle avait arpenté le Royaume-Uni, découvrant l'Ecosse, rêvant de pouvoir y transposer Port Isaac. Un aimant indiscernable maintenait cependant son attention fixée sur les souvenirs de son enfance. Une enfance heureuse, chez les uns et chez les autres, une grande famille qui ne sera jamais vraiment celle qu'elle a toujours désiré cependant. L'odeur du sel, brûlant ses narines, avait quelque chose de rassurant. Quelque chose lui rappelant qu'elle était enfin, à la maison. L'image la frappa avant même qu'elle ne puisse se préparer au choc. La vieille maison. Les rires d'enfants, les berceuses et ce regard attentionné, celui d'une mère. Malgré la présence constante à ses cotés de ses tantes et de sa grand-mère, ces femmes, aussi merveilleuses soient-elles aux yeux de Nina, n'avaient jamais représenté pour elle de véritables figures maternelle. La mère Collins en revanche. Elle se rappela ne pas avoir parlé aux gamins de la jolie maison depuis cinq ans. Pas à un seul d'entre eux. Pas même Ashe. Inconsciemment, machinalement, son corps athlétique se fraya un chemin jusqu'au vieux café de la ville. Sa bouche exprima les mots, restés fixés dans le fond de sa gorge, avant même que son cerveau ne parvienne à les formuler. Un muffin aux myrtilles et un verre d'eau plate. L'alliance parfaite d'après-midis ensoleillés et d'autres, qui l'avaient malheureusement moins été. Son odeur s'envola jusqu'aux narines de Nina avant même que le bruit de ses pas ne viennent marteler dans le creux de son crane. Elle l'aurait reconnu parmi des milliers de garçons similaires. Une odeur de pain chaud se mêlait cependant désormais à celle plus forte, plus masculine qui l'avait toujours accompagné. Le son de sa voix la fracassa de l'intérieur, comme on aurait asséné des coups de marteau à un crane pour le briser. Elle avait espéré qu'il ne vienne pas et qu'il se montre, à la fois. Elle aurait voulu qu'il ne la voit pas cependant. Mais, elle avait fait l'erreur de se mettre à leur ancienne table et en subissait désormais les conséquences. Son visage se teint d'une couleur rosâtre, rappelant le vichy de sa robe en coton. - Oh, Ashe. prononça-t-elle, gênée, honteuse.

Elle était rentrée du jour au lendemain, sans prévenir personne. Sa valise à la main, vide. Elle avait tout vendu. L'intégralité de ce qu'elle possédait. Ses vêtements, ses bijoux, ses meubles et quelques babioles. Elle avait cependant conservé ses cours. Les premières semaines furent terribles. La solitude soudainement, l'avait assaillie. Différente de la solitude londonienne. Celle dans laquelle elle se complaisait, enfant et dans laquelle elle ne se reconnaissait désormais plus. Le silence oppressant, le ciel infini et la nature pour seul horizon. Radical changement de point de vue. Nina avait acheté une petite maison, avec ses économies, rien de trop grand, de quoi avoir deux chambre (la deuxième étant actuellement un immense dressing), un vaste séjour/cuisine et une minuscule salle de bain. Le tout donnant une vue imprenable sur la mer celtique. Elle avait travaillé jour et nuit pour la refaire à son gout. Quelques travaux, du dépoussiérage et de la décoration, majoritairement. Elle avait surtout fuit Port Isaac et les visages la reconnaissant à peine. Tout avait été rapide et long à la fois. Elle n'avait pas eut le temps de retrouver ses anciens amis, ou simplement pas l'envie de devoir donner des explications. Car, des explications, elle n'en avait pas. Elle était parti pour son avenir, aurait pu continuer à donner des nouvelles mais ne l'avait pas fait. Elle revenait car elle n'avait pas trouvé mieux ailleurs, car ça lui avait manqué. Tout, sauf les habitants de Port Isaac. A Londres, elle n'était pas beaucoup plus sociable. Elle ne gardera surement pas contact avec le dixième des gens qu'elle a pu y rencontrer et ils sont peu nombreux. Elle avait ressenti ce que sa mère avait surement du ressentir, elle-même, dans chaque cellule de son corps de danseuse. Cette impression de liberté absurde, mensonger. Cette ivresse néfaste, dangereuse. Trompeuse. Ça lui avait fait du bien de partir, de découvrir autre chose, de vivre autre chose, de rencontrer des gens n'ayant jamais entendu parler d'elle, de sa famille, de son histoire. Personne n'avait pu deviner qu'elle est orpheline. Revenir à Port Isaac ne lui semblait cependant pas être un retour en arrière, une erreur de progression, d'avenir. Au fond, elle savait depuis l'enfance qu'elle finirait ses jours ici et nulle part ailleurs. Savoir cela l'avait toujours apaisé. Nina était le genre de fille étant toujours parvenu à planifier son avenir, à défaut de pouvoir controler son passé. Elle veut être en capacité de tout savoir, de tout prévoir. Finalement, sa vie à Port Isaac avait fini par lui manquer. Ses cousines étaient rentrées, les unes après les autres, la laissant seule à Londres. Seule, comme elle ne l'avait jamais été. Personne à Port Isaac ne s'était vraiment rendu compte de son retour. Ses cheveux étaient désormais plus longs et plus soignés. Son style aussi avait changé. Elle ne se contentait plus d'une ou deux pièces colorées mais ne portait désormais plus que des couleurs vives, de la tete aux pieds. Elle avait tant changé, tant grandi. Elle était déjà plutôt mature pour son age, refusant de faire toutes sortes de bêtises souvent faites par les jeunes de son age. Mais désormais, elle ressemblait véritablement à une adulte, dans sa petite maison, décorée avec soin, possédant ses propres meubles, sa propre vaisselle, rien ne provenant d'un passé qu'on a tenté de lui créer de toute pièce depuis sa naissance. Elle croisa pour la première fois les yeux de son meilleur ami d'enfance. Son visage n'avait pas changé. Il ressemblait toujours au garçon joyeux qu'elle avait vu grandir. Il avait cependant quelque chose de plus adulte, de plus mature. Elle ne l'avait pas vu depuis si longtemps, pourtant, rien ne semblait avoir changé. Ils étaient tous le deux assis là, l'un face à l'autre, semblait prés à rire aux éclat à tout instant. Son verre d'eau fraîche lui brûlait les doigt. Les mots, coincés au fond de sa gorge, la consumaient de l'intérieur. - Il y a quelques semaines à peine, peut-être deux ou trois mois, je ne sais plus très bien. Elle ne savait pas comment expliquer cette absence, ce silence. Tout ces jours passés à Port Isaac, l'évitant inconsciemment, espérant peut-être qu'il l'aurait oubliée - J'ai été incapable de retrouver ton numéro.. Je me suis doutée que tu serais occu.. Sa gorge se serra un peu plus. Elle évita son regard, s'empourpra. Elle aurait aimé que ce soit plus simple mais au fond, elle comprendrait très bien qu'il lui en veuille. - Je suis désolée, mes excuses sont minables. Elle murmura, tout en engouffrant un morceau de muffin, dont elle n'avait plus vraiment envie.

Par une ou deux fois, Nina s'était surprise à appeler la mère Collins, maman. A l'époque, la tante chez laquelle elle vivait le plus clair de son temps enchaînait les petits amis, laissant sa propre fille se débrouiller seule à la maison et Nina faire ce que bon lui semblait en ville. Elle passait alor la majeure partie de son temps chez les Collins, dormant parfois chez eux. Ses grands-parents l'effrayaient et ses tantes ne la considéraient que comme la fille de leur fuyarde de sœur, désormais malheureusement morte, plus comme un poids que comme une bénédiction. Avec le temps, Nina avait fini par comprendre que sa mère et ses sœurs n’entraînaient pas des relations faciles. Surement les sœurs Sharps n'étaient-elle pas, enfants, l'image des quatre sœurs unies, passant leurs journées à jouer aux poupées ensemble. En revanche, la mère de Ashe l'avait toujours traitée comme l'une de ses enfants. Avec le recul, Nina se demandait parfois si elle n'aurait pas mieux fait de lui demander de l'adopter. Elle avait cependant eut fort à faire avec ses quatre enfants, une de plus n'aurait certainement pas été une bonne nouvelle. Avec le temps, elle avait fini par appeler les Collins ses cousins, tout le monde dans le village savait très bien que c'était faux mais c'était sa manière un peu tordue de se construire une famille à elle. En ce instant, elle avait l'impression d'observer son frère dans les yeux. Gamine, Nina jalousait parfois la jumelle de Ashe. Nina avouera sans problème qu'elle aurait aimé être une Collins. Elle aurait adoré être la jumelle de Ashe. Sa réponse la glaça encore plus. Bien sur qu'elle savait ou il habitait. Plusieurs fois, elle avait failli frapper à la porte. Elle s'était assise sur le banc, dans la rue d'à coté, observant par la fenêtre de leur salon les disputes entre frères et sœurs devenus bien grands. Elle se sentait désormais exclue de cette famille qui n'avait finalement jamais été la sienne. Elle releva les yeux lorsqu'il tenta de porter le blâme sur ses épaules. En partant à Londres, elle n'avait pas dit au-revoir. Ils avaient envoyé des messages, les quelques personnes qu'elle considérait comme ses amis, la questionnant sur son départ. Elle leur avait alors répondu être parti à Londres pour quelques années ou pour toujours et leur avait demandé de ne plus la contacter. Elle avait ensuite éteint son téléphone pendant plus de quatre mois. Les messages avaient arrêté de s'aligner sur l'écran, les appels de défiler. Elle s'était dit qu'elle pourrait partir, comme sa mère, sans se soucier du jour ou elle devrait, ou voudrait, revenir. Elle ne savait pas vraiment quoi dire alors elle évita le sujet difficile. - Tu vas bien ? Elle voulait rattraper le temps perdu, se doutant pertinemment que personne ne la laisserai le faire sciemment. Après Ashe, elle aurait à affronter sa meilleure amie, qu'elle avait abandonnée aussi lâchement. - J'ai entendu dire que tu est devenu boulanger.. Finalement ta mère ne t'a pas renié pour ne pas avoir suivi le chemin de la mer.. Elle esquissa un sourire. Elle avait cette manière déconcertante de changer de sujet. De tenter de faire une plaisanterie aux moments les plus inappropriés. De vouloir changer l'humeur général et de n’être qu'à l'original du malaise général. Elle voudrait qu'ils ne soient pas là. Qu'ils se soient retrouvés sur les falaises. Elle voudrait qu'il hausse le ton, qu'il lui dise ses quatre vérités. Elle aimerait que l'orage soit passé et qu'il lui pardonne. Mais, elle ne se pardonnerait pas elle-même si elle était à sa place, du moins, pas aussi aisément. - De toute façon tu as toujours eu le mal de mer. Nina n'était jamais monté sur un bateau, préférant sentir les vagues lécher sa peau, même les plus froides, cinglantes, venant transpercer son corps de dizaines de coups de couteaux invisibles. Elle s’enfonçait, à chaque seconde un peu plus, dans la bêtise la plus profonde. Alors, elle préféra se taire et observa les visages pales des quelques personnes encore présentes dans le café, à dix heures passées. La grande majorité étant des hommes et de femmes de plus d'une cinquantaine d'années, pour la plupart divorcés et au chômage, n'ayant pas réussi à trouver dans l'alcool le réconfort nécessaire à améliorer en surface toute l'étendue de leurs problèmes. De toutes ses forces, Nina avait tenté d'aimer ce garçon autrement que comme un frère. L'imaginant devenir son mari, le père de ses enfants. Cependant, le fantasme n'avait jamais pris dans son esprit. Elle se voyait mal à vrai dire, à quinze ans, épouser un garçon qu'elle appelait cousin et qu'elle considérait comme un frère. Jamais il n'y avait eu autre chose que cela entre eux: de l'amour fraternel, puissant, surement indestructible (elle l’espérait tellement fort en cet instant) et tout aussi puissant que l'amour que l'on porte à un amant. Avec le temps, elle avait réussi à devenir une version d'elle-même différente, plus ambigu, grâce à lui. Une version dont elle était fière. En cet instant pourtant, elle redevenait la Nina de cinq ou six ans, observant ce garçon, cet inconnu qu'elle connaissait par cœur, sur lequel elle ne parvenait pas à mettre de qualificatif.